L’impact. Un mot simple en apparence, mais qui contient en lui des mondes entiers. Il incarne à la fois les transformations tangibles, celles qui redéfinissent notre quotidien, et l’engagement social et environnemental qui façonne en profondeur la mission des entreprises. Pourtant, trop souvent, nous n’en percevons qu’une fraction, croyant saisir l’ensemble, alors que nous restons prisonniers de nos perspectives étriquées, aveuglés par les limites que nous ne voyons même plus.

L’impact à grande échelle ou rien

Agir pour le bien commun, pour la planète, pour la société. Est-ce un renoncement à l’ambition ? Absolument pas. Beaucoup pensent qu’une cause juste excuse un relâchement, comme si l’impact pouvait se passer de la performance. ‘On est à impact, donc on peut faire moins de CA.’ Mais l’impact n’est pas l’ennemi de l’efficacité : il se déploie, ou il échoue. Comment prétendre changer le monde si nos actions ne sont pas à la hauteur des défis qui nous submergent ?

L’impact ne se réduit pas aux chiffres, mais il ne peut les ignorer. Trop souvent, on excuse une expérience médiocre sous prétexte de servir une cause juste. Mais si l’expérience ne marque pas, comment espérer que le message atteigne son but ? Que l’impact grandisse, qu’il modèle les esprits et transforme les comportements ?

Durable et désirable

Prenons un exemple qui parle à tous : les marques de seconde main. Elles portent en elles une promesse forte, mais trop souvent, elles échouent à séduire au-delà des convaincus. La plupart de ces marques, d’ailleurs, peinent à être rentables. La cause, à elle seule, suffit-elle ? Non. Il ne faut pas sacrifier l’émerveillement sous prétexte de sauver la planète.

Voyez la marque Cent Neuf. Chaque pièce est retravaillée avec soin, collaborant avec des artistes pour offrir des collections uniques. Ce n’est pas simplement du recyclage, c’est une réinvention. Cent Neuf. Sang neuf, sans neuf. Le jeu de mots est habile, la proposition de valeur, irrésistible.

Et si l’on traversait le monde ? En mars 2024, au Japon, la boutique Safari a lancé Second Life, une plateforme où chaque vêtement est chargé d’une histoire, celle de son ancien propriétaire. À chaque achat, une carte postale, illustrée par une IA, raconte cette mémoire. Un simple vêtement devient une transmission de vie. Un impact qui touche, qui émeut. Voilà comment l’on fait vibrer les cœurs.

Au-delà des apparences

Mais au-delà de cette poésie, une question cruciale s’impose : comment mesurons-nous réellement l’impact ? Tandis que certains se contentent de gestes symboliques — “abonne-toi, je plante un arbre” — d’autres inscrivent l’impact au cœur de leur modèle. Prenons BlaBlaCar : l’entreprise ne vend pas juste des trajets partagés. Chaque kilomètre parcouru réduit les émissions de CO2, tout en générant des revenus. Ici, l’impact n’est pas un ajout accessoire, c’est leur raison d’être.

Cependant, il est facile de se laisser piéger par des illusions dans notre quête d’un monde meilleur. Par exemple, une application anti-gaspillage alimentaire peut sembler vertueuse. Mais si elle réduit les dons aux banques alimentaires, alors où est l’impact réel ? Il faut aller au-delà des apparences. L’impact ne se mesure pas aux bonnes intentions, mais aux conséquences concrètes. Il exige un examen attentif des externalités, une remise en question constante de nos actions, et surtout, le refus des demi-mesures.

L’impact, une question de cohérence

Il existe aussi des initiatives ambiguës, tiraillées entre ignorance et contradiction. Prenons les shampoings solides, censés réduire l’usage de plastique, mais souvent plus énergivores que les produits qu’ils remplacent. Ou encore les voitures électriques, écologiques en surface, mais dont les batteries reposent sur des matériaux rares, extraits dans des conditions désastreuses. Les vêtements fabriqués à partir de bouteilles recyclées ? Une idée séduisante, jusqu’à ce que les bouteilles viennent à manquer. Si cette raréfaction représente une victoire pour l’environnement, elle sonne aussi l’agonie lente d’une entreprise qui dépend ironiquement de ce qu’elle prétend vouloir éliminer.

Parfois, il y a un manque de recul. Prenons les éoliennes offshore. Sommes-nous certains que leurs bienfaits compensent des effets encore inconnus ? Le bruit, les collisions, la perturbation des écosystèmes sur la faune marine et aviaire… Autant d’ombres qu’on préfère souvent ignorer, alors qu’elles pourraient tout remettre en question.

L’impact ne peut se réduire à la simple atténuation d’un problème isolé. Il demande une compréhension systémique et une prise en compte des conséquences à long terme. L’impact n’est pas un raccourci facile ; c’est une responsabilité profonde, exigeante, qui nous oblige à réfléchir à chaque étape.

La nature personnifiée

Ce manque de cohérence me rappelle un management sans cap, un chaos où rien ne semble prioritaire. Une vision fait défaut, une voix manque. Et si c’était pareil pour la nature, reléguée à un murmure distant ? Mais voilà qu’elle sort du silence. En Inde, des glaciers et des montagnes obtiennent des droits légaux. Au Canada, une rivière devient une entité juridique.

Dans l’art, la nature ne se contente plus d’inspirer, elle prend sa place. À la Biennale Beyond Water à Genève, des capteurs ont donné voix aux écosystèmes aquatiques. Plus surprenant encore, l’initiative Sounds Right, où des plateformes comme Spotify font de la nature un artiste à part entière. Des morceaux signés “Feat. NATURE”, où le bruissement des feuilles et le chant des oiseaux deviennent une œuvre collective. La nature, artiste créditée, voit ses droits reversés à la préservation de la biodiversité.

Certaines entreprises vont encore plus loin. Faith In Nature et House of Hackney ont attribué un siège à la nature dans leur conseil d’administration. Désormais, chaque décision stratégique doit répondre à la question essentielle : “Que dirait la nature ?”

Changer la comptabilité pour changer le monde ?

Si la nature devient sujet, nos modèles économiques doivent impérativement évoluer. Il est temps de revoir nos bilans, de redéfinir ce que nous y intégrons. Des outils comme la comptabilisation du carbone prouvent que la nature peut trouver sa place dans nos calculs. Mais cela ne suffit plus. Trop longtemps, nous avons considéré l’écologie comme un luxe, un coût à éviter, laissant le non-durable paraître plus économique. Pourtant, plus de la moitié de notre richesse mondiale dépend de la nature. Comment pouvons-nous encore l’ignorer ?

Le Bhoutan l’a compris avec son Bonheur National Brut : la prospérité ne se mesure pas seulement en chiffres. Il est temps de reconfigurer notre vision économique, de mesurer l’impact environnemental avec autant de rigueur que la croissance. Une économie saine ne peut s’épanouir sans un écosystème sain.

Au fond, l’impact ne doit jamais être une excuse pour en faire moins. Il doit devenir une exigence, celle de faire mieux, à chaque niveau. Parce que oui, si l’impact ne touche pas tout, il devient illusion.

Source : Marie Dollé – https://mariedolle.substack.com/p/quand-limpact-fait-impact

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